Hallucination collective

Publié le par Dans.la.solitude.des.champs.(de).sons

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Photo : Tom Spray

Quel groupe : Animal Collective

Où le concert : Pitchfork Music Festival, Grande Halle de la Villette

Quand le concert : 2 novembre 2012

Dans quel tiroir : Rock psychédélique

État des esgourdes : En plein trip hypnotique et tribal

 

Freak-folkeux pour faux freaks, absconnards prétentieux et sans talent, hipsters, faux hipsters, vendus, qu'il est devenu commun et banal de critiquer Animal Collective. Il faut admettre que le groupe originaire de Baltimore semble compiler à peu près toutes les caractéristiques susceptibles de susciter les critiques les plus dures : leur musique est hautement ésotérique et étrange (comprendre, potentiellement prétentieuse et opportuniste), leurs albums tous très différents les uns des autres, et leur nouvelle esthétique « voyage dans l'espace comme vu à travers les yeux d'un enfant dopé aux bonbons Haribo » d'un goût assez douteux. On ne peut pas reprocher aux Animal Collective de ne pas avoir de personnalité, cependant. Ce qui explique certainement pourquoi le groupe a aussi pas mal d'adorateurs – peut-être moins que de haters mais ça doit se jouer à peu. Je vous avais parlé l'année dernière de Panda Bear, membre du collectif, dont l'album Tomboy avait été pour moi un véritable coup de cœur sur scène, et, dans une moindre mesure, sur CD. Après cette deuxième soirée du Pitchfork Music Festival à Paris, avec le concert d'Animal Collective, j'ai bien l'impression que l'histoire s'est répétée.

Pourtant rien n'était joué d'avance. Centipede Hz, le dernier Animal Collective, est sorti début septembre et n'a reçu qu'une note de 7,4 sur Pitchfork. Bien que dans la moyenne haute, c'est une note qui ne pardonne pas pour un groupe ayant été au summum de la hype quelques années plus tôt. Ainsi, d'un phénomène énorme, Animal Collective est devenu non pas un groupe normal, mais bien pire, un Grand Groupe Déchu. Bref, un groupe dont l'album a été condamné à être écouté une fois entre le Kendrick Lamar et le Purity Ring (pour citer les plus mauvais), si ce n'est pas du tout. Ok, je suis en train de parler du Pitchfork Music Festival – d'ailleurs excellent de bout en bout – donc ça le fait pas de critiquer Pitchfork, mais si je m'écoutais j'écrirais un truc vachement acide sur comment le site nous incite à consommer de façon de moins en moins critique une quantité toujours plus grande de nouvelle musique, en mettant vicieusement au ban – sous couvert d'un 7 et quelques apparemment gentil – des artistes qui aspirent à rester pertinents plus longtemps que le Next Big Thing creux et éphémère si régulièrement encensé.

 Mais je dois bien avouer que j'ai failli me faire avoir. Je ne savais plus trop si j'avais vraiment envie d'écouter le dernier Animal Collective, vu qu'on m'avait déjà vendu Merriweather Post Pavilion comme la maître-pièce du groupe en 2009, et que je n'ai jamais pu m'empêcher de le trouver poussif et un peu creux – bien qu'à demi-mot, car sans que je ne sache trop pourquoi (crédibilité indé ? bof.), Animal Collective a toujours été un groupe que j'ai eu envie d'aimer et auquel j'ai voulu m'identifier. Alors pourquoi écouter Centipede Hz ? Parce que par principe je finis toujours par écouter ces albums qui déçoivent après un buzz conséquent (hein les xx?), avec l'espoir d'y trouver quelque chose que les autres auraient raté. Je dois quand même admettre que j'avais un a priori assez négatif vis à vis de Centipede Hz, rien qu'à cause de la pochette et de ses couleurs dégoulinantes et crades.

Finalement, dès la première écoute, je l'ai trouvé plutôt pas mal cet album, malgré l'espèce de bourdonnement électronique intempestif un peu désagréable qui, de prime abord, semble envelopper tous les morceaux. Je suis aussi passé à autre chose assez vite, c'est vrai. Il n'en reste pas moins que c'était toujours mieux que ceux qui n'ont apparemment même pas pris la peine de donner rien qu'une chance à Animal Collective : avant et après le concert, twittos, journalistes et blogueurs y sont allés de leur petit couplet ironique, indifférent, sentencieux ou très critique, sur le groupe avec parfois pas mal de mauvaise foi. Et ça m'a agacé, parce que moi je me suis bien amusé à ce concert – ce qui n'est peut-être qu'un méchant déni orchestré avec soin par mon surmoi, auquel cas cas vous devriez quitter cette page tout de suite.

Au milieu d'une scène bien décorée ornée de néons en forme de dents et illuminée par la même palette de couleurs que celle qui apparaît sur la pochette de Centipede Hz (sauf que là ça passait), le collectif au complet (Avey Tare, Panda Bear, Geologist et Deakin) a joué son dernier album en entier, ainsi que « Brother Sport », « My Girls » (tirés de Merriweather) et « Peacebone » (Strawberry Jam). À part pendant « Peacebone », pour laquelle Avey Tare s'est avancé au milieu de la scène micro en main afin d'enflammer un peu la salle, le contact entre le groupe et le public a été minimal (ce qui n'est pas étonnant puisque le Pitchfork Festival, contrairement à 98,2% des festivals de France, ne comptait pas Dionysos dans sa prog). Comme au concert de Panda Bear l'année dernière, le groupe ne s'est interrompu à aucun moment entre les différents morceaux, préférant les couturer entre eux avec des transitions électro-ambientes inspirées de programmes radio, et ainsi créer une sorte de Bulle pour Conditions d’Écoute Maximisées. Apparemment ça a fait chier pas mal de gens – peut-être étaient-ils seulement là pour l'infâme et Lady-Gaguesque Robyn après tout ? – pourtant, plutôt que d'uniformiser les morceaux, cela a contribué à rehausser leurs changements de rythmes inattendus et leurs circonvolutions bizarroïdes. D'ailleurs, j'ai sincèrement eu envie de danser à ce concert, alors que pas du tout à celui de Robyn, et ce n'est certainement que partiellement dû à la disposition particulière de mon lobe temporal.

Le live a confirmé « Today's Supernatural » comme le single naturel de l'album, malgré la boucle étrange très bande-son-de-jeu-vidéo sur laquelle il est construit. « Wide Eyed », avec ses rythmes tribaux à fort potentiel psychédélisant, a été une autre belle réussite du set, de même que « Monkey Riches », ma chanson préférée de l'album et ironiquement celle qui rappelle le plus Strawberry Jam. Logiquement, puisqu'il est à l'origine de huit des onze morceaux de Centipede Hz, c'est principalement le Animal Collective version Avey Tare qu'il nous a été donné à voir ; et, tout bien réfléchi, c'était certainement préférable pour un concert dans la Grande Halle de la Villette, inadaptée pour de longues chansons méditatives pleines de réverbe. Les deux morceaux signés Panda Bear, « Rosie Oh » et « New Town Burnout », ont d'ailleurs été deux temps un peu faiblards du set, et l'on aurait pu craindre que le public prenne en grippe notre ursidé préféré s'il n'avait su dégainer « Brother Sport » et « My Girls » au bon moment, tirant enfin la majorité mutique de sa torpeur.

Les gens ont donc décidé de s'éclater un peu quand Animal Collective a joué du Merriweather, comme pour rappeler froidement au groupe qu'il est sorti pour de bon de la hype et est maintenant condamné à rejouer encore et encore « Brother Sport » et « My Girls » façon Sisyphe. Mais finalement, c'est peut-être aussi un motif de satisfaction pour nous : j'ai beau trouver la première abrutissante au bout de deux minutes, le temps de capter d'un air entendu le jeu de mot malin qui lui donne son titre (tendez l'oreille), et la deuxième lamentablement gnan-gnan, je trouve aussi paradoxalement que ce sont deux chansons extrêmement touchantes et pleines de cette euphorie naïve, sans ironie et expansive qui anime les albums d'Animal Collective depuis Strawberry Jam. Les chansons de Merriweather sont devenues malgré leurs auteurs des phares réconfortants qui, pour être tout à fait honnête, ont effectivement donné lieu à deux des meilleurs moments de ce concert d'une joyeuseté radieuse (encore une fois, à mes yeux). Pied de nez ultime, cependant, Panda Bear a étiré « Brother Sport » sur dix bonnes minutes, en la transformant en une lente complainte abstraite. Touché. Le concert a-t-il vraiment duré deux heures et quart ?

Depuis, j'ai voulu réécouter Centipede Hz, Merriweather Post Pavilion et Strawberry Jam. Bon signe. Pas Feels et Sung Tongs, parce que j'ai décrété de longue date que c'étaient mes deux albums préférés d'Animal Collective, un jour l'un un jour l'autre. L'enveloppe sonore déplaisante de Centipede Hz a magiquement disparu, et tous les morceaux révèlent des petits trésors cachés qui leur confèrent enfin une individualité complexe et aguichante (la deuxième moitié de « New Town Burnout », sérieusement !). C'est un bon 8,5. Strawberry Jam est égal à Strawberry Jam, et « Peacebone » n'est même pas le meilleur morceau de l'album. Et Merriweather Post Pavilion, ce bon vieux Merriweather, je crois que je ne l'avais jamais entendu comme ça. Forcément, je ne l'ai jamais trouvé aussi bon qu'aujourd'hui.

Désolé Animal Collective.

 

 

Today's Supernatural

Monkey Riches

My Girls

 

 

 

Nico

 

Publié dans Les qu'on sert.

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